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A l’assaut du Kilimandjaro (1/2)

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Kilimandjaro (Tanzanie)

Envoyé spécial

Il a un nom qui claque, exhale un parfum d'aventure et suffit à déclencher le rêve. Du haut de ses 5 895 m, le Kilimandjaro n'est pas qu'une montagne qui domine l'Afrique. C'est un mythe. Avec sa couronne blanche et sa forme reconnaissable entre toutes, il est dans les livres de géographie des élèves du monde entier. Mais en Afrique de l'est, on l'aperçoit aussi sur des timbres, des tasses, des calendriers, des bouteilles de bière, des pagnes ou en poster dans des salles d'attente.

Elephant grazes at foot of Mount Kilimanjaro in Amboseli national park, southern KenyaDepuis octobre 1889, date de sa première ascension, le « Kili » sonne aussi comme un défi pour tous les amateurs de haute montagne. Ernest Hemingway en a même fait une nouvelle (Les Neiges du Kilimandjaro, 1936). Parce que le sommet du Kibo, le plus haut des trois volcans éteints du massif, ressemble à un appel lointain. Le pic se nomme Uhuru. En swahili, cela signifie « liberté».

En ce matin du 30 décembre, le point culminant de l’Afrique est bien trop haut au-dessus de l’épaisse couche de nuages, pour être aperçu. Au checkpoint de Machame (1 800 m d’altitude) règne l’agitation des grands départs. Des dizaines de porteurs tanzaniens se regroupent dans une guérite du Parc National pour se faire recenser. Ils seront une quarantaine à accompagner notre groupe de douze personnes jusqu’au sommet de l’Afrique. Alignés en file indienne, chacun vient ensuite peser les sacs qu’il trimballera pendant l’ascension. Il faut monter des vivres, de l’eau, des bouteilles d’oxygène, un caisson hyperbare au cas où… P1040427

Debout à côté d’une balance, le responsable des porteurs allège un sac en lui enlevant des boites de haricots, en alourdit un autre en lui ajoutant des condiments, des pâtes... Notre ascension par la voie Machame doit se faire en quatre jours, à raison de cinq à douze heures de marche quotidiennes.

Le ciel est couvert mais une douce euphorie règne au sein du groupe. Sous l’arche qui symbolise le début de l’ascension, on s’enlace et on se tape dans les mains pour s’encourager. Nul n’ignore à cet instant qu’il va vivre des moments forts mais éprouvants : selon les statistiques fournies par le Parc National, seulement 55% des candidats parviennent jusqu’au pic Uhuru. La principale cause des renoncements est le mal des montagnes. Comment allons-nous réagir à la raréfaction de l'oxygène au fil des jours ? C'est une plongée dans l'inconnu.

« Vous êtes tous venus ici pour une seule chose : atteindre le sommet, explique Abel, notre guide au moment de s’élancer. Pour y arriver, il n’y a qu’une seule règle : « Polé-polé ! » En swahili, ça veut dire : « doucement ! » Puis nous partons à l’assaut de la montagne mythique. Lors des séances d’entraînement ou dans les transports en commun, au réveil ou au moment de s’endormir, combien de fois avons-nous imaginé ce départ ? Il est enfin là, juste devant nous. Il ne reste plus qu’à poser le pied droit devant le pied gauche, puis à faire l’inverse… des dizaines de milliers de fois ! La première étape, assez facile jusqu’au camp Machame (2 892 m), prend cinq heures. Le sentier, parfaitement tracé, traverse une forêt humide et inextricable composée de lianes, de fougères géantes, de ficus… Quelques averses donnent un peu de rythme à notre ascension. Mais sous les capuches des panchos, les regards sont clairs et tous les esprits restent concentrés vers l’objectif. Nous parvenons au camp Machame en fin d’après-midi, où un thé chaud nous attend. Puis une bonne nuit.

Posée devant la tente, une bassine d’eau chaude sert pour la toilette au réveil. Certains en profitent pour se masser les pieds. Le ciel est parfaitement dégagé et le moral du groupe est au beau fixe, même si les affaires sérieuses commencent : un raidillon qui nécessite trois bonnes heures pour en venir à bout. Le décor évolue au fil de la montée. A la forêt tropicale d'hier s'est substitué un maquis touffu composé de bruyères à barbes et de lichen. Nous arrivons, après cinq heures de marche, au camp Shira.

P1040439C’est le début de l’après-midi, nous sommes à 3 840 mètres d’altitude. Bien abrité dans ma tente, j’entends une violente averse s’abattre à l'extérieur. L’après-midi s’achève par une balade aux alentours et une démonstration, faite par les guides, sur l’utilisation du caisson hyperbare. « Nous avons aussi des bouteilles d’oxygène au cas où les choses tournent mal, explique Abel. Mais celles-ci ne servent pas à monter au sommet… On ne les utilisera que s’il faut descendre quelqu'un en cas d’urgence ! » Les regards sont inquiets.

Après un dîner – délicieux vu les conditions dans lesquelles il a été préparé – une surprise nous attend à l’extérieur de la tente-réfectoire : le Kibo est sorti des nuages et se dresse pour la première fois face à nous. La lumière du soir donne à ses pentes enneigées de sublimes reflets rosés. Uhuru, son sommet, semble proche. Il est pourtant encore tellement loin.

P1040441« Le plus dur reste à faire », me dis-je en m’engouffrant dans mon duvet. Le défi, c’est pour l’instant de s’endormir, une gageure à cette altitude. Nous sommes le 31 décembre. Je tente de trouver le sommeil en imaginant toutes les fêtes qui se préparent : de Manille à Beyrouth, en passant par Bangui, Jérusalem ou Cotonou. Au camp Shira, quatre américaines espèrent réveillonner. Mais à 21h 30, épuisées, elles éteignent leur lampe frontale.

Le premier jour de l’année 2014 s’annonce radieux. Les premiers rayons du soleil nous réchauffent quand nous commençons à nous élancer : « toujours polé-polé ».

Nous enchaînons les montées, les côtes, les raidillons. Plus la matinée avance et plus la végétation se raréfie. Des sénéçons géants, une espèce de plantes endémiques, semble saluer notre passage. Vers 11 h, nous atteignons un désert alpin. Le souffle est court mais l’ambiance au sein du groupe reste bonne. Après le déjeuner, l’ascension se poursuit. Dans cette partie verticale qui mène à Lava Tower et sans trop savoir pourquoi, je presse le pas. La sanction de la montagne est alors immédiate. Au bout de quelques minutes, ma tête bourdonne, mes jambes flageolent et le Kilimandjaro se met à « danser » autour de moi. En arrivant à 4 600 mètres, j’ai des haut-le-cœur et les sons que j’entends sont modifiés. Je m’assois, tente de reprendre mon souffle et mes esprits. Il reste quatre-vingt dix minutes de descente jusqu’au prochain campement. Je repars et sens mon cœur cogner dans ma poitrine. Dans ma tête, j’ai l’impression qu’une main invisible fait rebondir mon cerveau contre les parois du crâne… Je m’allonge péniblement dans la tente, prends un cachet s’aspirine et me force à boire. « En altitude, on trouve dans l’eau l’oxygène qui se raréfie dans l’air, assure Abel. Il faut avaler entre quatre et cinq litres par jour ! »

Au bout d’une demi-heure, je vais mieux mais me jure de raccourcir désormais chaque pas de quelques centimètres, d’économiser chaque mouvement, chaque geste jusqu’au sommet. Du camp Barranco, à 3 970 mètres, on aperçoit dans la vallée les lumières de la ville de Moshi. La civilisation scintille. Mais elle ne nous manque pas.














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